Recommandations d’experts 2025
Alexandre FABRE, Xavier STEPHENNE, Emmanuel GONZALES (Coordonnateur du réseau AVB-CG)
et les membres du Conseil d’Administration du GFHGNP
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Le syndrome d’Alagille est une maladie systémique due à un défaut de développement, secondaire à une altération de la voie de signalisation canonique NOTCH, causée par des mutations de JAG1 ou très rarement de NOTCH2.
La voie Notch (encoche) a été décrite initialement chez la drosophile en 1913 dans le laboratoire de Thomas Morgan. Les drosophiles mutées avaient un phénotype à type de déchirure au niveau des ailes (d’où le nom d’encoche). Cette voie Notch est impliquée dans les processus de différentiation cellulaire. Alors que la drosophile ne possède qu’un couple ligand/récepteur, il existe quatre gènes NOTCH chez l’être humain et deux gènes JAG.
La manifestation la plus fréquente du syndrome d’Alagille est une cholestase (diminution du flux biliaire) associée à une paucité ductulaire à la biopsie hépatique. Cette cholestase se manifeste classiquement par un ictère à bilirubine conjuguée et parfois par une décoloration des selles. Sur le plan biologique on note une élévation de la Gamma-Glutamyl transpeptidase (GGT), des acides biliaires sériques et une hypercholestérolémie fréquente ; des carences vitaminiques notamment d’hypovitaminose K avec risque hémorragique sont possibles. Les 4 autres atteintes cardinales (critères diagnostiques cliniques majeurs) sont des malformations cardiaques, osseuses, ophtalmologiques ainsi qu’une dysmorphie faciale.
La multiplicité des atteintes fait du syndrome d’Alagille un syndrome multiviscéral plus qu’une hépatopathie avec des atteintes diverses.
Histoire du syndrôme
C’est en 1969 lors des Journées Parisiennes de Pédiatrie que D. Alagille et
N. Thomassin présentent une série de 25 patients souffrant d’une cholestase avec des caractéristiques particulières.
Quelques années après, en 1973 Watson et Miller décrivirent un syndrome associant des sténoses ou hypoplasies des artères pulmonaires à une hépatopathie néonatale et finalement, en 1975 Alagille et al. décrivirent le syndrome et proposèrent 4 des 5 signes cardinaux comme critères diagnostiques majeurs. En 1979, Riely et al. ajoutèrent l’embryotoxon comme critère diagnostique majeur du syndrome d’Alagille.
Une atteinte vasculaire artérielle est également décrite dans les années 1970, et le syndrome est initialement appelé dysplasie artério-hépatique.
A la fin des années 80, les atteintes rénales furent intégrées aux manifestations du syndrome d’Alagille et ont même été proposées comme le 6ème critère diagnostic majeur.
Génétique
NOTCH2 et JAG1 sont les deux gènes impliqués dans le syndrome d’Alagille. JAG1 est une protéine membranaire de 1218 acides aminés et est le ligand de NOTCH2, une protéine de 2471 acides aminés. NOTCH2 présente une partie membranaire, mais également une partie intracellulaire – clivée lorsque JAG1 se lie à NOTCH2 – qui va agir comme facteur de transcription et va réguler l’expression de différents gènes impliqués dans la différenciation cellulaire.
Un variant pathogène de JAG1 est identifié chez 94.3% des patients avec un syndrome d’Alagille clinique, un variant pathogène de NOTCH2 chez 2.5% des patients. Pour 3.2% des patients aucune cause génétique n’est identifiée.
Épidémiologie et mode de transmission
La prévalence du syndrome d’Alagille est estimée entre 1/30.000 (en prenant en compte les formes pauci-symptomatiques) et 1/60.000 naissances (pour les patients présentant un diagnostic clinique de syndrome d’Alagille).
Le syndrome d’Alagille est de transmission autosomique dominante, un seul allèle atteint suffit donc à causer le syndrome. Le variant pathogène est hérité d’un des parents dans 40% des cas ; dans 60% des cas, il s’agit d’un variant de novo. La pénétrance est incomplète et l’expressivité est variable, ce qui explique la grande diversité des manifestations cliniques, y compris dans les formes familiales.
Clinique et éléments diagnostiques
Atteinte hépatique (89-100% des cas)
Sur le plan clinique et biologique, il s’agit généralement d’une cholestase à début néonatal à GGT élevée avec ictère et possible décoloration des selles. Un prurit intense responsable d’une altération importante de la qualité de vie est souvent associé, débutant généralement à partir de l’âge de 4 mois. Une hypercholestérolémie secondaire à la cholestase est fréquente, parfois responsable de xanthomes cutanés, en particulier si les taux sont supérieurs à > 500 mg/dL (soit 13 mmol/L). L’impact fonctionnel et esthétique de ces xanthomes peut être important. Les paramètres biologiques montrent souvent une cholestase intense (bilirubine conjuguée, GGT, cholestérol, acides biliaires) et une augmentation modérée des transaminases (ASAT, ALAT).
Sur le plan radiologique, l’échographie hépato-biliaire peut révéler une hypoplasie de la vésicule biliaire, mais est le plus souvent normale. Histologiquement, la lésion hépatique classique est une diminution du nombre de voies biliaires interlobulaires ou paucité ductulaire (Figure 1). Cette paucité est définie par un rapport nombre de voies interlobulaires /nombre d’espaces portes inférieur à 0.5 sur une biopsie hépatique contenant plus de 10 espaces portes. Cette paucité est plus souvent retrouvée après 6 mois de vie (présente dans 60% des biopsies avant 6 mois contre 95% après). La réalisation d’une biopsie hépatique n’est recommandée qu’en cas de doute diagnostique ; la présence d’une cholestase à GGT élevée étant souvent considérée comme suffisante pour valider l’atteinte hépatique du syndrome d’Alagille. Bien qu’associée au syndrome d’Alagille, une paucité peut être retrouvée dans d’autres maladies génétiques comme la trisomie 21 ou le déficit en alpha1-antitrypsine, ou des infections congénitales (CMV, rubéole …).



Figure1:1-a-Lésionsd’hépatopathiecholestatiqueparpaucitéductulaire:espaceportedépourvude sectioncanalairebiliaire,confirméparunimmunomarquage(Cytokératine7)(fig.1-b)comparativement à un espace porte normal centré d’un canal biliaire (flèche- fig.1-c ) (aimablement fournie par le Dr Fritih APHM Marseille)
Atteinte ophtalmique (56-95% des cas)
L’embryotoxon postérieur est un anneau blanc rétro-cornéen parallèle au limbe plus ou moins complet correspondant à un épaississement de la ligne de Schwalbe. Il est visible à la lampe à fente chez 56-95% des patients ayant un syndrome d’Alagille et dans 22% de la population générale. Il n’a pas d’incidence clinique. De nombreuses autres atteintes ophtalmologiques, plus rares, ont également été décrites.
Atteinte osseuse (33-97%)
L’anomalie la plus fréquente est la présence de vertèbres en aile de papillon (figure 2). Cet aspect est causé par un défaut de fusion des arcs antérieurs des vertèbres et peut être retrouvé dans d’autres syndromes (VACTERL par exemple), voire d’autres cholestases mais avec une fréquence bien moindre. D’autres anomalies des extrémités des membres (clinodactylie du 5ème doigt, raccourcissement des phalanges) ont aussi été rapportées.
Il existe une fragilité osseuse qui n’est pas exclusivement expliquée par les déficits en vitamine D ou la cholestase, et donc probablement une part intrinsèque liée à l’atteinte osseuse du Syndrome d’Alagille.
Figure 2 vertèbres en aile de papillon (aimablement fournie par le Pr Petit APHM Marseille)

Atteinte cardiaque (90%-97%des cas)
Il s’agit majoritairement de malformations du cœur droit. La plus fréquente est la sténose ou l’hypoplasie des artères pulmonaires (76%), puis la tétralogie de Fallot (12%). Plus rarement, on peut noter des malformations du cœur gauche (7%).
Sur le plan clinique on notera un souffle audible particulièrement au niveau des creux axillaires.
Dysmorphie (95%)
Présente chez plus de 95% des patients, elle peut être difficile à apprécier chez les nourrissons et est l’atteinte la plus subjective. Les signes classiques sont un visage triangulaire formé par un front haut proéminent et un menton pointu, un hypertélorisme, et un nez droit avec une pointe bulbeuse. Une voix aiguë peut être notée.
Atteinte rénale (20-73%)
Une atteinte rénale est présente chez 20 à 73% des patients. Du fait de sa fréquence, elle est souvent proposée comme 6ème critère diagnostique. Les atteintes rénales les plus observées sont la dysplasie rénale (59%) et l’acidose tubulaire (9.5%). Une évolution vers l’hypertension artérielle et l’insuffisance rénale chronique est fréquente à long terme.
Atteinte vasculaire artérielle (15%-30%)
Au-delà de la classique sténose des artères pulmonaires, le syndrome d’Alagille est associé à des anomalies vasculaires qui peuvent toucher tout le système artériel et sont à risque de saignement.
Au niveau cérébral par exemple, ces anomalies – à type de sténose/ absence de la carotide interne, anévrysme, moya-moya – peuvent se compliquer d’accidents vasculaires cérébraux.
Taille
Environ 50% des nouveau-nés ayant un syndrome d’Alagille présentent un petit poids de naissance ; un retard de croissance intra-utérin est fréquemment retrouvé (RCIU).
Par la suite, un retard de croissance est observé chez 50 à 90% des enfants ayant un syndrome d’Alagille.
Ce retard de croissance peut être attribué en partie à la cholestase mais est également probablement lié à aux autres atteintes du syndrome d’Alagille.
Divers
Un retard des acquisitions motrices a été rapporté chez 16% des enfants ayant un syndrome d’Alagille et une déficience intellectuelle légère chez 2%.
Un retard pubertaire a été décrit.
Des atteintes ORL, dont une surdité, sont possibles.
En plus des complications liées à la cholestase – comme la coloration verte des dents
– des anomalies de forme et de l’émail des dents sont présentes dans le syndrome d’Alagille.
Des patients atteints du syndrome d’Alagille présentent rarement des atteintes articulaires, de type arthrite inflammatoire

Figure 3 résumés des atteintes principales du syndrome d’Alagille (source Image Flaticon)
Critères diagnostiques
Les premiers critères diagnostiques ont été définis par Daniel Alagille en 1987. Le diagnostic nécessitait la présence d’au moins 3 des 5 signes cardinaux (incluant la cholestase).
Avec l’avènement de la génétique, il a été proposé de modifier le nombre de critères cliniques nécessaires au diagnostic (en intégrant les atteintes rénale et vasculaire) en fonction des résultats de biologie moléculaire, et de l’existence d’antécédents familiaux.
Critères diagnostiques du syndrome d’Alagille
Variant pathogène de JAG1ou NOTCH2 | Antécédent familial de syndrome d’Alagille | Nombre de critères cliniques nécessaires au diagnostic (1) |
Présent | Oui | Aucun |
Présent | Non (cas index) | Au moins 1 |
Non trouvé ou absence génétique | Oui | 2 ou plus |
Non trouvé ou absence génétique | Non (cas index) | 3 ou plus |
Mortalité
Du fait de sa nature multisystémique, la gravité du syndrome d’Alagille ne se limite pas à l’atteinte hépatique. La mortalité a été évaluée par l’étude GALA (registre international des patients atteints de syndrome d’Alagille) à 8.8% à 10 ans et 11.9% à 18 ans. L’âge médian de décès dans cette étude était de 2.6 ans, la grande majorité des décès étant observée avant l’âge de 5 ans. Les 3 premières causes de décès étaient d’origine hépatique dans 22% des cas, cardiaque dans 18%, vasculaire non cardiaque (incluant neurologique) dans 15% des cas.
Prise en charge
Il est important de souligner que le caractère multiviscéral du syndrome d’Alagille implique une prise en charge multidisciplinaire ; l’évaluation initiale et le suivi doivent inclure les spécialités médicales prenant en charge les différentes atteintes présentes (hépatique, cardiaque, rénale, neurologique, ophtalmologique, endocrinologique, dentaire…).
Prise en charge de l’hépatopathie
Diététique
Un régime hypercalorique enrichi en polymères de glucose et en triglycérides à chaîne moyenne est préconisé ( jusqu’à 120 à 140 % des apports pour l’âge chez le nourrisson). Une assistance nutritionnelle de type entérale est souvent nécessaire en cas de cholestase sévère.
Médicamenteuse
Malabsorption vitaminique
Une supplémentation en vitamines liposolubles ADEK, par voie orale ou parentérale doit être débutée précocement pour prévenir les carences et leurs conséquences en particulier le retard de croissance et l’ostéopénie (vitamine D), les neuropathies périphériques (vitamine E) et surtout le risque d’hémorragie (vitamine K).
Cholestase
L’utilisation hors AMM de l’acide ursodésoxycholique permettrait de réduire la cholestase.
Prurit cholestatique
Divers médicaments sans AMM sont utilisés pour réduire le prurit cholestatique (rifampicine, sertraline, naltrexone, etc.). La rifampicine permet le plus souvent de diminuer le prurit ; l’efficacité des autres médicaments est moins évidente.
Récemment, une nouvelle classe thérapeutique – les inhibiteurs du transporteur iléal des acides biliaires (IBATi) – a prouvé son efficacité dans des études contrôlées. Les IBATi bloquent la réabsorption des acides biliaires au niveau iléal, ce qui interrompt leur cycle entéro-hépatique et modifie le pool d’acides biliaires. Ils entraînent une diminution des acides biliaires sériques et du prurit cholestatique chez environ 70% des patients. En France, 2 IBATi ont une AMM dans le traitement du prurit cholestatique lié au syndrome d’Alagille : le maralixibat à partir de l’âge de 2 mois et l’odevixibat à partir de l’âge de 6 mois.
Ces traitements devraient modifier la prise en charge :
- À court terme, en diminuant plus efficacement le prurit cholestatique ce qui permet une amélioration de la qualité de vie et de la durée et qualité du sommeil, avec un impact potentiel sur le développement physique et intellectuel de l’enfant ;
- À moyen et long terme, cette amélioration attendue de la qualité de vie et du développement de l’enfant pourrait réduire les indications de transplantation hépatique réalisée pour cause de prurit sévère. Il reste à déterminer si ces traitements auront un impact sur l’évolution de la maladie hépatique, diminuant ainsi les transplantations hépatiques pour hypertension portale ou insuffisance hépatocellulaire.
Transplantation
La transplantation hépatique est nécessaire lorsque le prurit cholestatique est sévère et réfractaire aux traitements ou en cas de cirrhose décompensée ou de carcinome hépatocellulaire. La cohorte GALA rapporte que 46,6% des enfants ayant présenté une cholestase néonatale sont transplantés avant l’âge de 10 ans et 59.7% avant 18 ans. La transplantation hépatique ne corrige pas les atteintes des autres organes, notamment l’atteinte rénale qui peut même s’aggraver après la transplantation du fait de la toxicité des immunosuppresseurs.
Conclusion
Le syndrome d’Alagille est une des causes les plus fréquentes de cholestase néonatale. Les critères cliniques qui lui sont associés doivent être recherchés chez tous les nouveau-nés et nourrissons présentant une cholestase. Son diagnostic repose sur des critères cliniques, radiologiques et moléculaires. Sa prise en charge nécessite une expertise multidisciplinaire.
Remerciement au Dr Roman (pédiatre, APHM) pour sa relecture
Références
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se rapportant au Groupe Francophone d’Hépatologie-Gastroentérologie
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