Recommandations d’experts 2025

Camille Jung (Créteil), Marc Bellaiche (Paris)
et les membres du Conseil d’Administration du GFHGNP

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Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est défini par la remontée du contenu gastrique dans l’œsophage. Lorsque le reflux est extériorisé par le nez ou la bouche, on parle de régurgitation. Le RGO, avec ou sans régurgitation, est physiologique et attendu chez les nourrissons en bonne santé, les régurgitations étant le trouble fonctionnel intestinal (TFI) le plus fréquent avant 1 an.

Les critères diagnostiques de la régurgitation infantile selon les critères de rome IV[1]

Les critères diagnostiques doivent inclure 2 des éléments suivants chez des nourrissons par ailleurs en bonne santé et âgés de 3 semaines à 12 mois de vie :

  1. Régurgitations 2 fois ou plus par jour pendant 3 semaines ou plus.
  2. Absence de vomissements, d’hématémèse, de fausse route, d’apnée, de retard de croissance, de difficultés d’alimentation ou de déglutition, ou de posture anormale.

Les manifestations du RGO physiologique disparaissent dans 90% des cas avant l’âge de 12 mois [1]. Il existe cependant des formes pathologiques de RGO (ou gastro-oesophageal reflux disease (GERD) en anglais) lorsque le RGO se complique d’hématémèse, d’œsophagite ou encore de syndrome de Sandifer (dystonie paroxystique secondaire à un RGO), etc.

Le RGO pathologique est peu fréquent chez le nourrisson et surdiagnostiqué, en particulier en médecine générale car

  1. les avis spécialisés (pédiatrique ou gastropédiatrique) sont difficiles à obtenir ;
  2. les examens complémentaires (pH-métrie, impédancemétrie, endoscopie digestive haute) qui infirmeraient le diagnostic sont aussi difficiles d’accès ;
  3. l’ anxiété parentale sur ce sujet est importante [2].

Les signes cliniques faisant suspecter un RGO pathologique sont la présence d’une hématémèse ou d’un méléna, une cassure pondérale et parfois le refus alimentaire ou la survenue de pleurs inhabituels. Les liens entre RGO et pathologies respiratoires ou ORL (stridor, laryngites à répétition, pneumopathies récurrentes, toux chronique, etc.) ou malaises ne sont pas démontrés[2].

En cas de signe d’alerte, il convient de réaliser des examens complémentaires : endoscopie digestive haute à la recherche d’une œsophagite ou pH-métrie/impédancemétrie pour confirmer le diagnostic de RGO pathologique et caractériser un RGO acide ou basique. Certains diagnostics différentiels sont aussi à évoquer en cas de signe d’alerte : sténose du pylore si apparition de vomissements en jet post-prandiaux vers l’âge de 1 mois ; allergie aux protéines de lait de vache ou encore une œsophagite à éosinophiles, cependant rare avant 12 mois.

Le traitement

Le RGO doit être expliqué aux parents, ce d’autant que l’inquiétude parentale est souvent importante. Dans la grande majorité des cas, la prise en charge ne nécessite pas de traitement. Des mesures posturales et/ou diététiques peuvent cependant être proposées, que le RGO soit physiologique ou pathologique.

1- Mesures posturales et rythmes des biberons

Dans la mesure où le sommeil en position ventrale ou latérale augmente le risque de syndrome de mort inattendue du nourrisson, il est recommandé que les nourrissons soient couchés en position dorsale pour les périodes de sommeil[2].

Des repas plus fréquents et de plus petits volumes (fractionnement) sont parfois recommandés, mais il existe peu de preuves directes qui étayent l’efficacité de cette approche. De plus, le fractionnement peut chez certains augmenter la fréquence des épisodes de RGO acide ou non acide du fait de périodes postprandiales plus courtes[3].

2- Les épaississants

Chez les nourrissons au biberon, épaissir le lait est une méthode simple et fréquemment utilisée. Les épaississants utilisés pour la prise en charge du RGO du nourrisson sont ceux à base d’amidon, de caroube ou associant amidon/caroube ou encore pectine/amidon/caroube. La gomme de xanthane peut également être utilisée ; Les sociétés savantes ont déconseillé son utilisation avant 12 mois[4] mais un avis récent de l’EFSA a conclu à l’absence de problème de sécurité en cas d’utilisation chez le moins de 4 mois[5].

On trouve des formules infantiles épaissies à l’amidon, à la caroube, avec un mélange amidon/caroube ou encore avec un mélange pectine/amidon/ caroube. Certaines formules enrichies en caséine sont plus épaisses. Il existe aussi des épaississants exogènes à base de caroube, d’amidon, de pectine ou de xanthane pour les plus de 6 mois, à rajouter lors de la reconstitution du biberon. L’amidon peut être à base de pomme de terre, maïs, tapioca ou riz, les formules s’épaississant alors secondairement dans l’estomac, au contact du suc gastrique. La farine de graines de caroube permet quant à elle d’épaissir le lait du biberon dès sa reconstitution.

Les formules infantiles anti-régurgitations, dites « AR » sont vendues en pharmacie car ces produits rentrent dans la catégorie des Denrées Alimentaires Destinées à des Fins Médicales Spéciales (DADFMS). Il peut s’agir d’épaississant à base de caroube (max 1 g/100mL) ou d’amidon lorsque la quantité est supérieure à 2 g/100 ml[6].

Dans tous les cas, les épaississants ont pour objectifs d’augmenter la viscosité du lait. Mais ils augmentent également l’osmolarité et la densité énergétique, ce qui peut être à l’origine de troubles digestifs. Le degré de viscosité varie selon la température du biberon, la formule infantile ou encore l’eau utilisée (etc.).

La dernière méta-analyse Cochrane ayant évalué l’efficacité des épaississants dans le traitement du RGO du nourrisson de moins de 6 mois date de 2017 et a inclus 637 nourrissons issus de 8 essais cliniques[7]. Les nourrissons à terme nourris avec une préparation infantile épaissie avaient environ 2 épisodes de régurgitation de moins par jour et étaient plus susceptibles d’être sans symptômes de reflux à la fin de l’intervention. Épaissir le lait peut donc améliorer certains nourrissons ayant un RGO et les épaississants sont le plus souvent très bien tolérés.

Certaines complications graves en lien avec leur consommation ont néanmoins été rapportées. Des cas d’entérocolites ulcéro-nécrosantes (ECUN) ont ainsi été décrites chez des nouveau-nés nourris avec des formules épaissies à la xanthane[8]. C’est pourquoi l’ESPGHAN et la NASPGHAN avaient déconseillé leur utilisation avant 12 mois[4]. La gomme de caroube[9] a également été impliquée dans la survenue d’ECUN chez des prématurés et ne doit pas être utilisée avant 42 SA. Un cas de SEIPA induite par la caroube a également été rapporté[10].

En dehors de ces complications graves mais très rares, des symptômes gastro-intestinaux divers tels que douleurs abdominales, diarrhées ou encore constipation peuvent survenir chez des nourrissons consommant une formule épaissie[3].

3- Les traitements médicamenteux

3.1. Inhibiteurs des pompes à protons (IPP) : oméprazole, ésoméprazole

De nombreuses études randomisées ont montré l’absence de bénéfice de l’utilisation des IPP chez les nourrissons avec RGO ou suspicion de RGO pathologique[2,11]. Les symptômes du type cambrement en arrière, refus du biberon, pleurs inexpliqués ne sont pas améliorés par les IPP[11,12]. De plus, le traitement par IPP peut être associé à des effets indésirables, principalement des infections respiratoires et gastro-intestinales.

C’est pourquoi la HAS recommande de ne pas traiter par IPP les nourrissons ayant un RGO physiologique (régurgitations), des pleurs ou une irritabilité, si le développement de l’enfant est par ailleurs normal[2]. Elle suggère qu’il est possible de traiter par IPP et hors AMM le nourrisson âgé de 1 mois à 1 an dans les situations suivantes :

  • Œsophagite peptique authentifiée par endoscopie digestive haute
  • RGO non extériorisé associé à au moins 2 signes de RGO pathologique parmi les suivants : refus alimentaire ou retard de croissance associé à des changements de comportement ou manifestations respiratoires ou ORL récurrentes ET attesté par une pH métrie des 24h ou une impédancemétrie, ET après échec des mesures hygiéno-diététiques (vérification de la reconstitution des biberons, rythme d’alimentation, formule épaissie).

La durée de traitement préconisée est de 4 à 8 semaines à la posologie de 1 mg/kg/jour en 1 prise à jeun 30 minutes avant un repas.

3.2 L’alginate de sodium

Malgré un niveau de preuve faible, l’alginate de sodium peut être utilisé chez le nourrisson après la prise du biberon et avec une dose variable selon l’âge. Avant 1 mois, 1ml x 6/jour ; entre 1 et 2 mois 1,5 mL x 5/jour ; entre 2 et 4 mois 2mL x 5/jour ; au-delà, 2,5mL x 4 jour [4,13]. En l’absence d’amélioration après un traitement d’épreuve d’environ 4 semaines, ce traitement doit être arrêté.

3.3 Autres traitements médicamenteux

Enfin, du fait d’un rapport bénéfice/risque défavorable et du risque de troubles du rythme cardiaque, aucun prokinétique n’est actuellement autorisé dans l’indication du RGO de l’enfant. Il n’y a plus non plus d’anti-H2 disponible depuis le retrait de la ranitidine en septembre 2020 du fait de la présence dans le produit de nitrosodimethylamine (NDMA), cancérogène probable.

Conclusion

Au total, le RGO est le plus fréquent des TFI chez le nourrisson. Dans la très grande majorité des cas, il est physiologique, très bien toléré et d’évolution favorable. Des diagnostics différentiels ou complications du RGO doivent être évoqués en cas de signes d’alerte. Le plus souvent aucun traitement n’est nécessaire. Des mesures hygiéno-diététiques peuvent améliorer des nourrissons symptomatiques. Les médicaments ont en revanche très peu de place dans le traitement du RGO non compliqué avant 1 an.

Références

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  • HAS S-DLP. Reflux gastro-œsophagien chez l’enfant de moins d’un an : définitions, prise en charge et pertinence des traitements pharmacologiques 2024.
  • Corvaglia L, Martini S, Aceti A, Arcuri S, Rossini R, Faldella G. Nonpharmacological Management of Gastroesophageal Reflux in Preterm Infants. BioMed Res Int 2013;2013:1–7. https://doi. org/10.1155/2013/141967.
  • Rosen R, Vandenplas Y, Singendonk M, Cabana M, DiLorenzo C, Gottrand F, et al. Pediatric Gastroesophageal Reflux Clinical Practice Guidelines: Joint Recommendations of the North American Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition and the European Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2018;66:516–54. https://doi.org/10.1097/MPG.0000000000001889.
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  • RÈGLEMENT (CE) N o 1333/2008 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) (JO L 354 du 31.12.2008, p. 16). n.d.
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