Marc Bellaiche (Paris)
et l’ensemble du Conseil d’Administration du GFHGNP
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Définition
Les critères de ROME IV, définissent les coliques du nourrisson dans le cadre des troubles fonctionnels intestinaux.
Elles forment un syndrome comportemental chez des nourrissons âgés de 1 à 4 mois qui présentent de longues périodes de pleurs, difficiles à apaiser. Ces épisodes surviennent sans cause évidente, générant préoccupation et inquiétude chez les parents.
Ces pleurs sont volontiers associés à un inconfort avec agitation, faciès érythrosique, poings serrés, jambes fléchies, distension abdominale et émission de gaz.
Flaubert dans ses correspondances emploie le mot colique comme « peur ». Mais l’étymologie du mot colique vient du grec « kolikos », puis du latin « colicus » : « qui souffre du colon ». Au XIIIe siècle, le terme signifie : « douleurs d’entrailles ». D’où la confusion avec une cause exclusivement digestive imputée aux coliques du nourrisson… et les consultations itératives chez le gastro-pédiatre.
Il n’y a aucune preuve que ces pleurs soient causés par une douleur (abdominale ou autre). Il faut donc insister auprès des parents pour qu’ils cessent de ressentir les coliques comme une douleur de leur nourrisson non traitée efficacement (au contraire des coliques hépatiques ou néphrétiques qui obéissent à une conduite thérapeutique précise et efficace). Les coliques sont d’ailleurs insensibles à tous les antalgiques…
Les pleurs prolongés surviennent volontiers dans l’après-midi ou le soir. En moyenne, les pics des pleurs ont lieu à environ 4-6 semaines puis diminuent régulièrement jusqu’à 12 semaines.
La « règle des trois », qui stipulait que les pleurs liés aux coliques devaient se produire sur une période de 3 heures ou plus par jour pendant au moins 3 jours par semaine, est caduque.
En effet, en pratique clinique :
- Il n’y a aucune preuve que les nourrissons qui pleurent plus de 3 heures par jour sont différents des nourrissons qui pleurent 2 heures et 50 minutes par jour.
- Les nourrissons issus de certaines cultures pleurent plus que des enfants issus d’autres cultures.
- Les parents sont souvent réticents à tenir rigoureusement un journal de suivi du comportement pendant 7 jours.
- La durée de pleurs semble moins affecter les parents qu’une agitation prolongée, non expliquée et impossible à calmer.
Les critères de diagnostic peuvent donc être définis ainsi :
- Nourrisson de moins de 5 mois.
- Périodes récurrentes et prolongées de pleurs, avec agitation ou irritabilité du nourrisson qui se produisent sans cause évidente et qui ne peuvent être évitées ou résolues par les parents.
- Absence de retard psycho-moteur ou de maladie identifiée chez un nourrisson eutrophe (souvent pléthorique).
Physiopathologie
La physiopathologie des coliques est probablement complexe et multifactorielle.
Facteurs psychologiques et comportementaux
Les pleurs et cris expriment sans doute un besoin primaire de manger, d’être changé… ou d’échanger. En effet, le canal de communication du petit nourrisson passe uniquement par le cri : « je crie donc je suis… ». Si la réponse à ce besoin n’est pas adaptée, les pleurs s’accentuent et font naître une angoisse chez les parents qui perdent parfois leur contrôle et leur rôle de « parents – contenant ». Leurs compétences parentales se trouvant ainsi dépassées, ils compensent par un surinvestissement le plus souvent délétère.
Ce vécu est l’apanage des parents anxieux, mais surtout des parents vite débordés par une situation inédite pour eux ou qui fait resurgir des angoisses oubliées ou refoulées.
Ainsi, en comparant des mères de nourrisson « avec coliques » et un groupe témoin on ne retrouve pas de différence significative entre les réactions des mères face au cri et leur degré d’anxiété.
En revanche, il existe une incidence plus importante des coliques chez les enfants dont la mère a eu une phase dépressive et/ou un stress émotionnel pendant la grossesse ou en post-partum. Il en est de même pour les pères indépendamment des mères.
Un profil socio-économique a été esquissé dans une enquête britannique portant sur 12 277 nourrissons avec coliques. Les paramètres considérés comme particulièrement significatifs sont : un âge maternel élevé, une primi- ou pauciparité, un métier non manuel.
Cette tranche de la population est aussi la plus sensible à « l’adultomorphisme » : quand un adulte crie, cela signifie qu’il a un problème grave.
Si un nourrisson crie violemment, on peut projeter sur lui le même raisonnement et penser qu’il souffre atrocement.
Troubles digestifs favorisants
Les coliques et le reflux
Les symptômes d’une œsophagite sont parfois proches de ceux des coliques avec des pleurs et une agitation douloureuse. Toutefois six études différentes ne retrouvent ni lien entre reflux acide à la pH-métrie et symptomatologie de coliques, ni efficacité thérapeutique avec les inhibiteurs de la pompe à protons. Face à des pleurs isolés du nourrisson sans autre signe associé avec un examen normal, l’endoscopie digestive haute n’est pas indiquée, et ce quelle que soit l’intensité des pleurs.
Les coliques et l’intolérance au lactose
La théorie d’intolérance au lactose à l’origine des coliques est séduisante avec une relation retrouvée entre la production anormale d’hydrogène et la survenue des coliques (78 % des nourrissons «avec coliques» ont un test respiratoire positif à l’âge de 6 semaines contre 36 % des nourrissons contrôlés). Toutefois la supplémentation en lactase n’apporte pas de bénéfice clinique.
Les coliques et l’allergie aux protéines du lait de vache (APLV)
Trois études et une méta-analyse ont retrouvé une efficacité d’un traitement diététique sans protéine de lait de vache. Toutefois le nombre de nourrissons étudiés est toujours faible. De plus, dans plusieurs études il s’agit de nourrissons à fort risque atopique ce qui n’est pas le cas, en général, au cours des coliques. En cas d’association à d’autres signes évocateurs d’APLV, surtout s’il existe des antécédents familiaux d’atopie, un traitement empirique peut donc être envisagé.
Dysmotricité intestinale
Les taux de motiline sont plus élevés dès la naissance et au cours du temps chez les enfants victimes de coliques. Le tabac accroît le taux de motiline par ailleurs et il est connu que le tabac accroît le risque d’apparition de colique. La sérotonine est également élevée, et on connaît son rôle dans la médiation de l’hypersensibilité viscérale.
Les plexus myentériques et les plexus sous-muqueux sont sous le contrôle du système nerveux entérique. L’immaturité de ce « cerveau intestinal » durant les 3 premiers mois de vie induit une dysmotilité et une altération de l’effet barrière du mucus intestinal.
Modification du microbiote
Le microbiote est différent chez les enfants avec ou sans colique en terme de diversité et de colonisation bactérienne.
Une plus grande abondance en E. Coli et Klebsielles est retrouvée dans les échantillons de selles de nourrissons avec coliques ainsi que d’autres germes Gram négatif potentiellement pathogènes (Serratia, Vibrio, Yersinia et Pseudomonas Phylum Probacteria). Ces bactéries sont productrices de gaz par fermentation du lactose, carbohydrates et protéines. De plus, certaines souches de E. Coli, Klebsielles et Bacteroidetes peuvent induire une inflammation intestinale de bas grade via la présence de lipopolysaccharides (LPS) sur leur membrane externe. En effet, ces LPS activent une cascade pro-inflammatoire responsable de taux élevés dans la sous-muqueuse puis dans le sang d’IL 8, CC- chemokine ligand 2 et 4. La calprotectine fécale est ainsi plus élevée en cas de coliques du nourrisson. A contrario, l’abondance en bifidobactéries (Phylum Actinobacteria) et lactobacilles (Phylum Firmicutes) est moindre dans les selles des nourrissons avec colique.
Ces germes jouent un rôle favorable sur l’immunité digestive, la fonction épithéliale et la régulation de la motilité et de la perméabilité intestinales.
Une fonction antagoniste de la production de E. Coli, Klebsielles et Enterobacter appuie leur action bénéfique.
Un taux bas d’acides biliaires intraluminal est retrouvé dans les premiers mois de vie. L’immaturité intestinale et du cycle entéro-hépatique en sont probablement responsables.
Cette concentration insuffisante en acides biliaires favorise une perméabilité intestinale, une prolifération bactérienne principalement anaérobie et une dysmotilité avec contractions coliques.
L’ensemble de ces modifications fait naître l’hypothèse de dysbiose, inflammation intestinale, altération de la production des acides biliaires et immaturité du système nerveux entérique dans la genèse des coliques.
L’axe « microbiote-intestin-cerveau » représente la voie de signalisation qui permet de coordonner les différents processus.
Prise en charge
Les coliques altèrent la sensation de bien-être du nourrisson et l’indice de qualité de vie de la famille, ce qui en fait une maladie selon les critères de l’OMS.
L’incidence des coliques est estimée entre 20 et 25 % dans les pays industrialisés.
Donc, bien que de pronostic bénin, l’incidence des coliques et l’anxiété qu’elle suscite en font un problème de santé publique qu’on ne peut négliger. Ce trouble fonctionnel induit un inconfort, et rappelons à titre d’exemple que l’obtention d’un confort acceptable est l’unique justification selon la HAS pour le traitement systématique de la fièvre du nourrisson.
L’approche thérapeutique doit impérativement être individualisée et adaptée en fonction du contexte familial, social et culturel.
Toutefois, le socle initial est le même. Rassurer avec empathie est une gageure chez des parents, en manque de sommeil et frustrés de ne pouvoir apaiser leur nourrisson…
Après un examen complet permettant d’éliminer les rares diagnostics différentiels, une éducation thérapeutique est souhaitable. En expliquant le trouble fonctionnel et en leur permettant d’être acteur de la prise en charge via des consultations itératives, un journalier du bébé ou un suivi connecté (https://coliq.net), la guidance parentale sera efficiente. Celle-ci est essentielle pour prévenir les rares mais graves « syndromes du bébé secoué » induit par des pleurs incessants. Les démonstrations par vidéo, l’emmaillotage, les massages, le “ portage ” ou des “ berceaux à vibrations ” peuvent être proposés, mais aucune conviction scientifique significative ne peut les prôner.
Une revue Cochrane de 2016 laisse la porte ouverte à une phytothérapie ciblée.
Aucun traitement pharmacologique n’est légitime. La simeticone, le sucrose ou la lactase n’ont pas d’efficacité prouvée, la methylscopolamine a trop d’effets secondaires. Il n’est pas recommandé de traiter un nourrisson par IPP en cas de coliques.
Un régime d’éviction chez la mère qui allaite est très discutable, entre les bénéfices attendus et le stress provoqué. Les essais empiriques itératifs de formules lactées sont délétères. En cas d’antécédents d’atopie familiale ou personnelle, un régime avec un hydrolysat extensif doit être discuté. Certaines formules fermentées avec adjonction de FOS-GOS semblent réduire le temps de pleurs, mais nécessitent confirmation par d’autres études randomisées.
Intérêt des probiotiques
Les probiotiques sont définis comme des microorganismes vivants, qui administrés en quantité adéquate, confèrent un rôle bénéfique sur la santé de l’hôte.
Pour repérer précisément ces microorganismes, doivent être pris en compte : le domaine, le phylum, la classe, l’ordre, la famille, le genre, l’espèce et enfin la souche. Aucune propriété bénéfique d’un probiotique ne peut être superposée à un autre probiotique s’il n’est pas de la même souche. De plus, la quantité de colonies bactériennes pour une même souche (CFU) doit être également identique dans les différentes préparations afin de pouvoir les comparer.
Le rôle bénéfique de certains probiotiques dans les coliques est expliqué par plusieurs mécanismes : réduction de l’inflammation intestinale par la modulation des Toll Like récepteurs et cytokines pro-inflammatoires, restauration et préservation de la barrière intestinale, réduction des translocations bactériennes, inhibition compétitive de l’adhésion bactérienne et action bactéricide de pathogènes, augmentation de synthèse des acides gras à chaînes courtes, réduction de la distension gastrique et de la dysmotricité et enfin modulation de la douleur viscérale.
Huit méta-analyses convergent vers l’efficacité d’un probiotique issu du lait maternel : le Lactobacillus reuteri DSM 17938 (L. reuteri Protectis). Cet effet est majoré chez les nourrissons en allaitement exclusif.
La dernière publiée en 2018, selon la technique IPDMA (individual participant data metaanalysis) pour plus de puissance statistique étudiant 345 nourrissons conclut à l’efficacité spécifique du Lactobacillus reuteri DSM 17938 (L. reuteri Protectis) dans les coliques avec une réduction moyenne de pleurs de 50 mn par jour.
Deux études n’ont pas retrouvé d’efficacité avec L. Rhamnosus, une retrouve deux fois plus de répondeurs que le placebo chez 50 nourrissons avec un symbiotique et une étude pilote sur 29 nourrissons montre une diminution de la durée des pleurs au 3ème mois grâce à l’association de Bifidobacterium breve B632 et Bifidobacterium breve BR03.
Une comparaison globale en méta-analyse des différentes modalités thérapeutiques sur 2 242 nourrissons ne valide que l’utilisation spécifique du probiotique Lactobacillus reuteri DSM 17938 (L. reuteri Protectis).
Enfin, sur 589 nourrissons à terme alimentés au sein ou artificiellement, l’administration prophylactique systématique de 5 gouttes de Lactobacillus reuteri DSM 17938 (L. reuteri Protectis), réduit le temps de pleurs de 51 minutes par jour à 1 mois et 33 minutes par jour à 3 mois, versus un groupe contrôle.
Conclusion
La stratégie thérapeutique doit s’inscrire dans le cadre d’une prise en charge holistique dont l’objectif est de réconforter des parents qui ont un bébé inconfortable.
Ce traitement consiste non pas à «guérir la colique», mais à aider les parents à traverser cette période difficile du développement de leur bébé.
La réassurance, l’écoute et la guidance parentale sont un premier pilier. L’administration de Lactobacillus reuteri DSM 17938 (L. reuteri Protectis) a démontré un effet prophylactique et une efficacité thérapeutique, en particulier chez les nourrissons allaités.
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au Groupe Francophone d’Hépatologie-Gastroentérologie et Nutrition Pédiatrique
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