Recommandations pratiques

CLUB MOTRICITE DU GFHGNP
Goutet JM, Lamblin MD, Mahler T, Maudinas R, Scaillon M 

Introduction

La Société Nationale Française de gastroentérologie (SNFGE) 1, l’American Gastroenterological Association (AGA) 2, le groupe italien pour l’étude de la motricité digestive (GISMAD) 3 ont élaboré des recommandations concernant la réalisation et les indications de la manométrie œsophagienne chez l’adulte. Il existe une seule référence parlant des indications et de la méthodologie chez l’enfant 4.

Une enquête a été menée auprès de pédiatres membres du club de motricité digestive pédiatrique sous l’égide du groupe Francophone d’Hépatologie, Gastroentérologie et Nutrition Pédiatrique (GFHGNP) concernant la réalisation des manométries œsophagiennes chez l’enfant. Celle-ci a permis la rédaction de Recommandations concernant la réalisation technique.

Matériel

Le matériel de manométrie œsophagienne doit respecter des normes précises de sécurité, fiabilité et doit être adapté à la taille de l’enfant.

Il doit être régulièrement étalonné et contrôlé. Le matériel standard avec capteurs de pression externes et cathéters perfusés représente le matériel le plus couramment utilisé en  pratique clinique pédiatrique. Les sondes à usage unique sont recommandées pour éviter les contaminations. La décontamination  est par ailleurs obligatoire après usage et avant réutilisation dans les pays pour lesquels la loi sur les consommables n’impose pas l’usage unique.

Les différents éléments du système doivent assurer une faible compliance. La courbe de variation de pression en fonction du temps (dP/dt), obtenue lors de l’occlusion brutale des orifices de chacun des cathéters, permet de vérifier la compliance globale du système et la performance des capteurs. Elle doit être linéaire et sa pente doit être supérieure à 300 mmHg/s 5. Une pompe de type Andorfer est le plus utilisée, elle doit assurer un débit constant  de 0,5 ml/min  pour les sondes de diamètre 3mm et de 0,3 ml/min pour les sondes à manchon ou de très petit diamètre £ 3mm. On utilise habituellement des sondes en PVC et parfois en silicone.

Il existe plusieurs types de sondes en matériaux de souplesses différentes et de diamètres de 1 mm à 5 mm. Le nombre  minimum de cathéters requis est de 3, avec des orifices disposés dans des directions différentes afin de prendre en compte l’asymétrie radiaire des sphincters œsophagiens 5. L’espacement entre les orifices dépend de la taille de l’enfant et de la distance inter sphinctérienne (exemple : enfant à terme, taille : 50 cm, distance : 10 cm). Des capteurs espacés d’1 cm sont recommandés pour les nourrissons et de 3 cm pour les enfants de moins de 6 ans et 5 cm au-delà de cet âge ou certainement pour une taille de plus de 150 cm. Peu de centres travaillent avec des manchons de type DENT ou avec des micro capteurs internes en raison principalement de leur coût. Au moment de l’enquête aucun centre ne travaille en manométrie de haute résolution.

Description de la réalisation de l’examen

Nous décrivons la technique de manométrie stationnaire perfusée telle qu’elle est pratiquée dans la majorité des centres pédiatriques et nous proposons des règles méthodologiques, adaptées à la pratique pédiatrique.

Préparation

Un jeune est exigé avant la mise en place de la sonde, il sera de 4 à 12 heures, selon l’âge de l’enfant. Un accueil calme et une ambiance détendue, la possibilité de diminuer l’intensité lumineuse, des jouets, des livres ou d’autres moyens permettront de distraire l’enfant. Une anesthésie locale des narines par des gouttes ou un spray peut permettre de pratiquer l’examen sans sédation. Un peu de glucose (pas de sucrose) sur une tétine peut calmer les nourrissons. Le local doit disposer d’un matériel permettant une aspiration et une aide respiratoire.

Réalisation

La position de l’enfant sera de préférence en décubitus dorsal et à  plat. Toutefois on peut admettre une position semi-assise ou dans les bras des parents (en tenant compte des légères variations de pressions ainsi provoquées).

La position n’aurait  plus d’importance si l’on utilise des micro capteurs, cependant, une diminution significative de l’amplitude des ondes est observée lorsque que le patient est relevé de 60° 6.

Des déglutitions d’eau à la paille, à la seringue (de 1 ml à 5 ml) ou au biberon doivent être provoquées, tout comme en médecine adulte, de manière isolée et espacées de 20 secondes. Les déglutitions sont observées par l’infirmière et il n’est pas recommandé d’utiliser des électrodes par ailleurs difficiles à placer chez les jeunes enfants. Dans certaines situations particulières (enfant qui refuse de boire, que toute stimulation fait pleurer, qui tousse ou s’étrangle, qui n’est pas habitué à avaler) le réflexe de Santmyer peut être provoqué en soufflant vivement de l’air vers les narines des jeunes nourrissons 7.

Recueil des données

Etude de la pression gastrique 

Le tonus de base est mesuré avec 3 capteurs au moins dans l’estomac. La pression gastrique expiratoire (PGE) est le zéro de référence. Un retrait progressif de la sonde est ensuite pratiqué (par 0,5 cm).

Etude du sphincter inférieur de l’œsophage (SIO)

La pression de base du SIO est mesurée au niveau d’un plateau d’élévation de pression en fin d’expiration au niveau sous-diaphragmatique ou au niveau du point d’inversion (correspondant au passage de la sonde de la cavité abdominale vers la cage thoracique). Une moyenne est effectuée sur la valeur des pressions enregistrées par chacun des capteurs. Une estimation de la longueur totale, sous diaphragmatique (abdominale), sus diaphragmatique (thoracique) est faite lors d’un retrait progressif de 1/2cm en 1/2 cm de la sonde.

La relaxation lors des déglutitions est ensuite observée pour un nombre minimum de 5 déglutitions sèches (salivaires) stimulées éventuellement par un réflexe de Santmyer et/ou au mieux par des gorgées d’eau (1à 5 ml) isolées. Elle est exprimée en pourcentage de réduction du tonus et en pourcentage de déglutitions suivies de relaxations complètes ainsi que, de manière complémentaire, en durée et en pression résiduelle.

Etude de la motricité du corps œsophagien 

Le péristaltisme est étudié sur un minimum de 10 séquences, évalué sur les paramètres suivants : amplitude des ondes, durée des ondes, morphologie des ondes, propagation des ondes. Il est important d’étudier le corps œsophagien à tous les niveaux. Dans ce cas-ci également, les déglutitions peuvent être salivaires  stimulées par un réflexe de Santmeyer si nécessaire.

Etude du sphincter supérieur de l’œsophage (SSO) 

La pression de base est évaluée par rapport au niveau de pression intra œsophagienne sur au moins 3 capteurs.  La relaxation est évaluée au cours de 4 déglutitions. Sont étudiées : la coordination avec l’onde pharyngée et le pourcentage de la relaxation par rapport à la pression de base.

Etude des ondes pharyngées 

L’amplitude, la durée, la morphologie et la propagation des ondes sont étudiées, le capteur médian étant placé au niveau du SSO et le proximal dans le pharynx. La tolérance de l’enfant à cette instillation d’eau dans le pharynx n’est pas toujours excellente et dans ce cas une observation après arrêt de la perfusion du capteur pharyngé est autorisée mais ne tiendra pas compte de l’amplitude des ondes pharyngées.

Valeurs normales 

L’unité de mesure adoptée par le groupe de travail du GFGHNP est le mmHg. Il est admis par certains auteurs que les valeurs normales sont similaires à tous les âges. La littérature nous rapporte des valeurs variables selon les études et sans doute influencées par les qualités du matériel, le calibre de la sonde par rapport au calibre du SIO, la pathologie sous jacente. Les références pédiatriques sont rares et il est recommandé d’établir des normes propres à chaque centre. Des valeurs ont été rapportées chez des sujets souffrant de RGO sans œsophagite 8, souffrant de vomissements sans preuve de RGO 9, ou des symptômes de reflux sans retentissement clinique important 10.

Le groupe de travail du GFHGNP estime que l’on peut utiliser, chez l’enfant de plus de 2 mois, les limites  suivantes:

  • Tonus du SIO : maximum : 35 mmHg, minimum : 10 mmHg.
  • Amplitude des ondes péristaltiques : maxima : 150 mmHg , minima : 30 mmHg.
  • Durée de l’onde péristaltique: maxima : 6 secondes.

Le groupe de travail du GFHGNP considère aussi que d’autres paramètres sont importants à étudier. Aussi a-t-il admis que :

  • La dynamique du SIO est normale lorsque 90 % des déglutitions réussies sont suivies de relaxations complètes (≥ 85 % du tonus de base du SIO ou avec une pression résiduelle atteignant  5 à 8 mmHg de plus que le tonus gastrique) et synchrones de la déglutition, la relaxation du SIO est suivie d’un ressaut d’hyperpression d’amplitude variable et de durée < 7 secondes.
  • La portion sous-diaphragmatique de la zone de haute pression de la jonction  oeso gastrique vaut les  ¾ de la longueur totale.
  • La vitesse de propagation des ondes péristaltiques  doit être inférieure à 6.25 cm/sec.
  • Le synchronisme pharyngo œsophagien normal correspond à la survenue de la fin de l’onde pharyngée au plus tard lorsque la reprise du tonus du SSO est aux 2/3 de sa valeur de base 11.

Pour les enfants prématurés, le groupe de travail du GFHGNP adopte les résultats des études menées par l’équipe du Women’s and Children’s Hospital d’ Adelaïde :

  • Le tonus du SOI vaut 20.5 +/- 1.7  mm Hg avant et 13.7 +/- 1.3 mm Hg après administration d’un repas.
  • Le péristaltisme œsophagien est encore insuffisamment efficace car souvent incomplètement transmis ou synchrone 12 chez des enfants nés entre 26 et 34 semaines post conceptionnelles: 84 % des déglutitions sèches entrainent un péristaltisme.
  • Les relaxations inappropriées transitoires sont enregistrées 2.6   ± 1,6 fois par 30 minutes, entraînant un phénomène de cavité commune dans 86 % des cas 13.

Références

  1. Recommandations de Pratique Clinique © SNFGE, 1998
    Recommandations pour la pratique de la manométrie œsophagienne chez l’adulte – recommandations de pratique clinique ayant pour but d’optimiser les moyens diagnostiques et thérapeutiques [1998]  Site éditeur : Société Nationale Française de Gastro-entérologie ↩︎
  2. Pandolfino JE, Kahrilas PJ. American Gastroenterological Association medical position statement: clinical use of esophageal manometry. Gastroenterology 2005; 128: 207-8. ↩︎
  3. Passaretti S, Zaninotto G, Di Martino N, Leo P, Costantini M, Baldi F. Standards for oesophageal manometry. A position statement from the Gruppo Italiano di Studio Motilita Apparato Digerente (GISMAD). Dig Liver Dis. 2000; 32: 46-55. ↩︎
  4. Mark A. Gilger; John T. Boyle; Judith M. Sondheimer; Richard B. Colletti A Medical Position Statement of the North American Society for Pediatric Gastroenterology and Nutrition: Indications for Pediatric Esophageal Manometry.
    Journal of pediatric gastroenterology and nutrition 1997; 24: 616-8. ↩︎
  5. Richter JE, Wu WC, Johns DN, Blackwell JN, Nelson JL, Castell JA, et al. Esophageal manometry in 95 healthy volunteers.
    Dig Dis Sci 1987; 32: 583-92. ↩︎
  6. Tutuian R, Elton JP, Castell DO, Gideon RM, Castell JA, Katz PO.  Effects of position on oesophageal function: studies using combined manometry and multichannel intraluminal impedance.Neurogastroenterol Motil. 2003; 15: 63-7. ↩︎
  7. Orenstein SR, Giarrusso VS, Proujansky R, Kocoshis SA.The Santmyer swallow: a new and useful infant reflex.
    Lancet.1988;13;1(8581):345-6. ↩︎
  8. M J Mahony, M Migliavacca, L Spitz, and P J Milla. Motor disorders of the oesophagus in gastro-oesophageal reflux.
    Arch Dis Child.1988; 63: 1333–1338. ↩︎
  9. Cucchiara S, Staiano A, Di Lorenzo C, D’Ambrosio R, Andreotti MR, Prato M, De Filippo P, Auricchio S. , Esophageal motor abnormalities in children with gastroesophageal reflux and peptic esophagitis. J Pediatr. 1986; 108: 907-10. ↩︎
  10. Hillemeier AC, Grill BB, McCallum R, Gryboski J. Esophageal and gastric motor abnormalities in gastroesophageal reflux during infancy. Gastroenterology. 1983; 4: 41-6. ↩︎
  11. Sondheimer GM , UES and pharyngeal motor function in infants with and without GERD Gastroenterology 1983,85,301-305. ↩︎
  12. Omari TI, Miki K, Fraser R, Davidson G, Haslam R, Goldsworthy W, Bakewell M, Kawahara H, Dent J. Esophageal body and lower esophageal sphincter function in healthy premature infants. Gastroenterology. 1995 ;109:1757-64. ↩︎
  13. Omari TI, Benninga MA, Barnett CP, Haslam RR, Davidson GP, Dent J. Characterization of esophageal body and lower esophageal sphincter motor function in the very premature neonate.J Pediatr. 1999;135:517-21. ↩︎